« Les arbres sont vos Gourous.
Vous portez tous un arbre en vous » Jean Papin
Lorsqu’on me demande ce qu’est le yoga, c’est l’image d’un arbre qui me vient à l’esprit.
Yoga signifie union.
Or l’arbre est le symbole naturel , le signe manifeste de l’union (en termes indiens, on pourrait dire qu’il en est le linga) : Un axe qui relie la terre et le ciel, le bas et le haut, la matière et l’esprit, le dense et l’aérien. Par sa simplicité, il affirme la complémentarité des contraires et tout en l’assumant pleinement, en la portant à son paroxysme, il résoud la dualité.
Ainsi pour le yogi, l’arbre est un maître.
L’arbre se tait. Il enseigne en silence.
Le silence est sa substance.
Silence vivant
Silence en croissance
Silence en élévation
C’est au silence de l’arbre que nous invite le yoga.
Par la posture, par l’arrêt du souffle et par l’écoute se révèlent ce silence-source qui est la sève de la vie et auquel l’homme, par la pratique spirituelle, vient puiser.
L’arbre est immobile. Il enseigne la tenue.
Fiable, constant.
Même brisé, même torse,
Il reste égal à lui-même,
Fidèle à sa propre paix
Uni à soi.
Le yoga invite à l’immobilité de l’arbre.
Mettre un terme à l’agitation
Qui trouble et déchire,
Résoudre nos contradictions.
Mais on ne doit pas s’y tromper : la parfaite immobilité de l’arbre n’est qu’apparence. Elle n’est ni mort ni sommeil et la vie sans cesse intense vibre et veille en lui.
De même dans la posture.
L’absence de mouvements extérieurs
Féconde une effervescence intérieure.
L’immobilité concentre nos forces
Habituellement dispersées et les lie
En faisceau d’intensité,
En gerbe d’élévation.
Lorsque la paix, la stabilité sont établies alors, comme l’arbre, l’homme peut accueillir toutes les fêtes et tous les drames de la vie : Les oiseaux peuvent se réunir dans les branches , chanter, chatoyer ou se battre; le vent peut souffler, la foudre peut frapper, les assises de l’être n’en sont plus affectées, les racines restent intactes.
L’arbre est vigilance et lâcher-prise :
L’inébranlable concentration du tronc permet la parfaite disponibilté de la ramure, l’abandon de chaque feuille, l’accueil spontané du soleil et de la pluie, du vent, des nuages et de la nuit.
La ferme constance du tronc s’épanouit en libre ouverture à l’espace infini.
Etablie dans l’un, la ramure devient danse.
L’arbre est danseur cosmique : Shiva Nataraja.
Mais si son but est la lumière, il ne refuse pas ses ténèbres et ses racines descendent au plus profond, au plus obscur de la vie, se servant des nourritures de la terre pour s’élancer vers le ciel.
A son image le yoga nous propose une connaissance de soi, une acceptation de ce qui pèse en nous . L’arbre ne monte pas bien haut s’il ne s’enracine pas fermement dans la matière…. Il s’agit ainsi d’assumer les racines de l’être, les appétits et les désirs, non pour s’y complaire et s’en contententer mais pour pouvoir s’y appuyer et les dépasser en toute connaissance de cause.
Cette remontée lucide de la matière vers l’esprit, c’est toute la quête du yoga : inverser le flux habituel des énergies qui tirent vers l’incarnation, la matérialité et l’éparpillement dans la complexité croissante de la manifestation. Le yoga propose de remonter le courant vers la source de la vie. L’arbre nous en montre l’exemple : alors que l’eau coule partout dans la nature, dans l’arbre, elle monte ! La sève s’écoule vers le haut !
L’arbre, c’est encore l’invitation à la patience, à la persévérence.
La conquête de soi, l’élévation vers la lumière ne se font pas en un jour. Tout est là, peut-être, mais en germe. Dans le gland tout le chêne est présent mais potentiellement… Et il nous appartient de développer ou non ce potentiel, tout en rendant grâce à cette vie qui nous le permet. « L’exercice exige un effort soutenu » affirme Patanjali dans les Yoga Sutras. Croire qu’il n’y a rien à faire comme l’affirment certains et attendre qu’un miracle se produise est une attitude irresponsable et complaisante qui ne peut conduire qu’aux plus amères désillusions.
Mais il faut encore pour y parvenir avoir le courage de tourner le dos aux valeurs de la société de consommation qui nous leurent et nous affaiblissent : la soif du tout-avoir et celle du tout-tout-de-suite nous ont désappris la patience et l’effort. L’exemple de l’arbre nous les rappelle.
Le yoga ne propose pas une réponse aux problèmes sociaux et politiques de quelque époque que ce soit ; son propos va bien au-delà. Son propos est de rester en contact avec la source, en amont des viscissitudes et des mutations de ce monde. A l’image de l’arbre qui reste lui-même à travers les troubles de l’histoire et les changements de société. Le yoga est l’orient de l’homme, un rappel à soi qui permet de se retourner vers l’essentiel et de reprendre sa place dans l’ordre universel, de ne faire qu’un avec le « cours naturel des choses » comme aiment à le définir les taoistes.
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